SOURCE : article du JSL DU 03/10/2021 – Par Justine MALLARD

Depuis le putsch des talibans à Kaboul le 15 août, quelques Afghans exilés ont été pris en charge en Saône-et-Loire. La famille de Sarah* a été exfiltrée de Kaboul, via l’opération Arpagan, quelques jours après la prise de pouvoir des combattants islamistes. Ils sont installés à Châtenoy-le-Royal.

Sarah et sa famille ont quitté précipitamment l’Afghanistan quelques jours après la prise de pouvoir des talibans. En attendant d’y voir plus clair sur leur situation, les enfants sont scolarisés à Châtenoy-le-Royal. Photo JSL /Ketty BEYONDAS

 

« On avait une vie normale. Mon mari et moi étions médecins. J’avais des activités à côté de mon travail, mes enfants allaient à l’école. On avait une vie très occupée. » Un rythme qui tranche avec leurs longues journées dans leur appartement provisoire de Châtenoy-le-Royal, à attendre que leur vie reprenne peu à peu.

Sarah* est une Afghane de 40 ans. Elle a été exfiltrée de Kaboul, via l’opération Arpagan ( lire par ailleurs ), avec son mari, âgé de 41 ans, ses trois enfants, et sa sœur de 35 ans, fin août pour fuir l’Afghanistan. Un départ précipité mais salvateur.

« Est-ce qu’ils nous auraient tués ? »

Tous les six ont déposé une demande d’asile afin d’obtenir une protection internationale et s’installer en France, loin de l’enfer afghan. Un pays dans lequel ils se sentaient pourtant si bien il y a encore quelques semaines, avant le 15 août, jour noir de la bascule du pouvoir. « Tout a changé d’un coup. Tout s’est écroulé. Les talibans venaient dans les maisons, ils cherchaient des gens qui travaillaient pour le gouvernement, pour l’ONU, pour des pays occidentaux… Mon mari, qui est chirurgien cardiaque, a travaillé dans un hôpital en France pendant deux ans. Et ma petite sœur (qui a fui avec elle, NDLR) avait un poste de directrice d’un service au ministère des Finances. Nous étions en danger. On ne savait pas ce qu’il nous arriverait s’ils nous trouvaient. Est-ce qu’il nous aurait emprisonnés ? Est-ce qu’ils nous auraient tués ? On a eu peur alors on a tenté de fuir avec l’aide d’anciens collègues français de mon mari. L’armée française à l’aéroport de Kaboul était au courant de notre situation », raconte posément Sarah, dont la douceur des yeux clairs tranche avec la dureté du récit, ponctué de silences.

Un futur complètement inconnu

La famille a réussi à rejoindre l’aéroport de Kaboul, non sans mal, quatre jours après le putsch. « Aller à l’aéroport a été la partie la plus compliquée de notre périple. Les talibans étaient partout. J’ai mis mes mains sur les oreilles de mes enfants pour qu’ils n’entendent pas les tirs », raconte, en anglais, la mère de famille. Et puis, il y a eu les gaz lacrymogènes, la suffocation… « On a couru, on a laissé nos sacs et dans cette foule j’ai perdu un de mes enfants pendant 10 à 15 minutes, je l’ai cherché. Quand je l’ai récupéré, j’ai regretté un instant d’être venu à l’aéroport. »

Une fois arrivée à la base militaire française de l’aéroport, la famille afghane a été prise en charge par l’armée française. Et a rejoint Paris. « On a été très bien pris en charge, tout était arrangé. » Qu’a-t-elle ressenti lorsqu’elle a foulé le sol français ? « C’était un mélange de sentiments. J’étais à la fois soulagée et en même temps, je laisse mon passé derrière moi avec un futur complètement inconnu. C’est très déstabilisant », confie lentement Sarah. La famille a ensuite été orientée à Chalon-sur-Saône, pour les rapprocher de Lyon.

« En tant que femme, je ne pouvais plus marcher seule dans la rue »

Sarah et sa sœur Zita* étaient très investies dans l’émancipation des femmes à Kaboul, l’une et l’autre occupant des postes à responsabilité dans des milieux masculins. Elles ont vu, en quelques jours, la place des femmes régresser. « J’ai mis du temps à me faire accepter en tant que femme dans mon hôpital, j’ai dû prouver que j’étais aussi douée que les hommes. Et tout d’un coup, tout se déconstruit. Après l’arrivée des Talibans, je ne pouvais plus marcher seule dans la rue, je devais être accompagnée. On n’allait plus travailler. »

Redevenir médecin

Si les trois enfants du couple commencent à s’intégrer en allant à l’école de Châtenoy-le-Royal depuis quelques jours, les trois adultes attendent la réponse à leur demande d’asile avec impatience pour pouvoir se projeter. Et Sarah, elle, a hâte de commencer à apprendre le français, langue que son mari maîtrise plutôt bien. Car elle nourrit un espoir, celui de renfiler sa blouse de docteur en médecine interne. Paradoxalement donc, l’apprentissage du français est une première étape pour retrouver sa vie d’avant, sa vie normale. Pour se retrouver, tout simplement.

*Prénoms d’emprunt

J’ai mis mes mains sur les oreilles de mes enfants pour qu’ils n’entendent pas les tirs.

Sarah, Afghane en exil

Repères

Rappel des faits

Les talibans ont pris Kaboul, capitale de l’Afghanistan, le 15 août dernier, 20 ans après avoir été chassés du pouvoir. Avec le retrait des troupes américaines et, le départ du président afghan, Ashraf Ghani, les combattants islamistes ont rapidement repris du terrain. Dès lors, des milliers d’Afghans ont tenté de fuir par voie aérienne, provoquant des scènes de chaos à l’aéroport de Kaboul, cerné par les talibans.

Opération Arpagan

Organisée par les forces de l’armée française, cette opération a permis l’exfiltration d’une centaine de civils français et de milliers de civils afghans, du 15 au 27 août 2021.

Lexique

Réfugié  : un demandeur d’asile obtient le statut de réfugié auprès de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Il doit justifier auprès de cet organisme qu’il est « persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », des conditions définies dans l’article 1A2 de la convention de Genève. Les personnes reconnues réfugiées se voient attribuer une carte de résident valable 10 ans. En cas de refus, le demandeur peut saisir la CNDA (Cour nationale du droit d’asile).

Protection subsidiaire  : c’est un statut accordé à des personnes dont la situation ne répond pas à la définition du statut de réfugié mais qui courent tout de même un risque en restant dans leur pays (peine de mort, tortures…). Les personnes sous le statut de protection subsidiaire obtiennent une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de 4 ans.

Abbas vit en France depuis plus de 4 ans. Avec son statut de réfugié obtenu en début d’année, il espère pouvoir faire venir ses enfants et sa femme grâce au regroupement familial. Photo JSL /Justine MALLARD

Abbas est intégré en France mais séparé de sa famille depuis 6 ans

Il y a les Afghans qui fuient leur pays depuis la prise de Kaboul par les talibans. Et puis il y a ceux qui ont fui depuis un petit moment déjà. C’est le cas d’Abbas. Cet Afghan fêtera son 40e anniversaire dans quelques semaines, sans sa famille. Pour la 6e année consécutive.

Abbas a obtenu le statut de réfugié en début d’année. Mais ses deux filles, son fils et sa femme sont restés en Afghanistan. Abbas vit donc seul à Louhans où il travaille dans un abattoir de volailles.

Il est arrivé en France en 2015 après avoir fui, seul, les talibans qui ont tué plusieurs membres de sa famille. Il a d’abord rejoint l’Allemagne après un périple de quelques mois. Il y est resté 10 mois. Il a fait une première demande d’asile qui a été refusée. Abbas est ensuite parti à Paris, porte de la Chapelle, où il a également déposé une demande d’asile. Après deux années dans la capitale, il a été transféré par les services de l’État en Saône-et-Loire, à Digoin au début de l’année 2019. Abbas y a passé 15 mois, au CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile).

Abbas espère que sa famille le rejoindra bientôt à Louhans

« J’ai suivi des cours de français à Digoin et là je continue à en prendre à Chalon », explique Abbas, dans un français approximatif. Il ne passe pas un jour sans qu’Abbas parle à ses trois enfants et à sa femme par téléphone. « Mon fils a été enlevé par les talibans pendant 10 jours. J’étais à Paris à ce moment-là, c’était horrible. » Abbas espère pouvoir bénéficier du rapprochement familial pour accueillir sa famille à Louhans.

« Ça fait six ans que j’attends, six ans que j’ai peur pour eux. Quand mes enfants sortent, je ne suis pas tranquille. » Le problème est que la procédure de demande de rapprochement familial s’effectue, pour la famille, au sein des autorités consulaires dans le pays où ils résident. Sauf que l’ambassade de Kaboul est fermée. Celle d’Islamabad au Pakistan également. Il faudrait donc que la famille d’Abbas se rende à l’ambassade française de Téhéran, en Iran. « C’est compliqué d’aller en Iran, j’essaie d’organiser leur périple depuis Louhans. »

Mais malgré les difficultés, Abbas est confiant. Et entrevoit l’espoir de fêter son 41e anniversaire avec ses enfants et sa femme. Et pas par écran interposé.

Ça fait six ans que j’attends, six ans que j’ai peur pour eux.

Abbas

Agnès Radnic est la directrice du territoire Est à l’association Le Pont. Photo JSL /Ketty BEYONDAS

L’association Le Pont, en première ligne pour accueillir les Afghans

Pas d’afflux massif de demandeurs d’asile en Saône-et-Loire

« Nous n’avons pas été mobilisés en masse mais uniquement dans le circuit classique du Dispositif national d’asile, révèle Agnès Radnic, directrice territoriale à l’association Le Pont. C’est compliqué sur le terrain, on doit s’adapter, on ne sait pas exactement quand ils doivent arriver. »

L’association intervient sur tout le territoire, dans l’Autunois, le secteur Creusot-Montceau, le Chalonnais, Louhanais, Tournugeois, le Charolais-Brionnais et le Mâconnais, et dans différents secteurs de l’action sociale dont l’accueil des demandeurs d’asile. Il y a quelques semaines, l’association a préparé quatre logements pour accueillir des familles. Au dernier moment, seulement un logement a été pourvu à Châtenoy-le-Royal pour la famille de Sarah. « L’exfiltration est très rare, c’est un cas très particulier. La plupart des Afghans qui migrent en France ont un parcours plus long et traversent un certain nombre de pays avant d’arriver chez nous », précise Agnès Radnic.

L’association a 70 appartements dans le département, plus 21 places dans un bâtiment. « Il y a beaucoup de personnes qui arrivent seules. Et surtout, avec la crise sanitaire et la fermeture des frontières, il y a eu beaucoup moins d’accueils de demandeurs d’asile. »

Chiffres dans les deux dispositifs en 2021

➤  CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile)

33 Afghans ont été accueillis en CADA en 2021 : 23 personnes isolées et deux familles composées pour l’une d’un couple et deux enfants et l’autre d’un couple et quatre enfants. Sur ces personnes accueillies, quatre isolés ont obtenu la protection subsidiaire ( voir lexique ) et un isolé le statut de réfugié. Les autres dossiers sont en cours de procédure.

➤  HUDA (hébergement d’urgence des demandeurs d’asile)

Une famille (un couple et quatre enfants) est en attente de réponse ainsi que quatre personnes. Deux autres ont obtenu une protection subsidiaire.