SOURCE : article du JSL, du 25/01/23 – par Camille ROUX 

Il y a environ deux ans, quatre camionnettes de prostituées ont élu domicile dans un périmètre de trois kilomètres, en lisière de bois à Toulon-sur-Arroux et Saint-Romain-sous-Versigny. Deux de ces femmes évoquent un quotidien difficile et la peur qu’elles éprouvent à vivre seules en forêt.

Trois camions de prostituées sont stationnés en bord de route et en lisière de forêt à l’entrée de Toulon-sur-Arroux. Un quatrième se trouve à proximité sur la route menant à Saint-Romain-sous-Versigny. Photo JSL /Camille ROUX

« Qui n’aurait pas peur dans un bois la nuit ? » interroge-t-elle. Couverte d’un peignoir, les bras serrés autour de la taille, elle répond, oscillant entre franchise et méfiance. Cette femme d’une cinquantaine d’années, d’origine africaine, explique travailler dans la prostitution à Saint-Romain-sous-Versigny depuis « deux ou trois mois ». Près d’une route fréquentée mais où « les gens ne s’arrêtent pas. »

« C’est pour mes enfants ! »

Veuve, elle explique avoir perdu son mari dans un accident de moto en Espagne il y a trois ans. La prostitution est venue après. « C’est pour mes enfants ! Je suis là pour les nourrir », dit-elle, en haussant la voix, avec douleur.

Son répit, elle le trouve lors des passages de l’association Le Pont ( lire par ailleurs ), qui lui apporte de la nourriture et lui permet de se prendre une douche « dans un camping-car ». « Ils sont tops », dit-elle, pouce levé.

Le premier camion arrivé en 2021

À quelques pas de là, en lisière de bois à Toulon-sur-Arroux, trois autres femmes, dont une arrivée en 2021 et deux l’année suivante, ont la même activité dans des camionnettes blanches similaires.

Répondant de l’arrière du camion, une autre femme explique échanger avec les autres toutes proches. « On discute, on s’amuse, on parle. Si j’ai un problème, je peux communiquer », livre cette femme, originaire de Guinée équatoriale.

« Si on me laisse, c’est déjà bien »

« Mais parfois, il n’y a rien à faire. En campagne, c’est difficile ; les gens sont mariés. C’est moins facile qu’en ville, où il y a du monde le week-end. Mais il faut patienter », positive-t-elle.

Stationnée sur un terrain privé comme les trois autres camionnettes ( lire par ailleurs ), cette dernière se dit soulagée de ne pas avoir été délogée. « Si on me laisse, c’est déjà bien ». Elle aussi a déjà connu la peur après que son pare-brise a été cassé par deux fois l’année dernière. « Oui, ça m’a fait peur », prononce-t-elle timidement.

Les pouvoirs publics ne peuvent pas intervenirPhoto d’archives JSL /Françoise RAT

Photo d’archives JSL /Françoise RAT

Bernard Labrosse, maire de Toulon-sur-Arroux

« Des habitants, dont de jeunes parents emmenant leurs enfants à l’école, m’ont fait part de leur surprise ou mécontentement, parfois anonymement, à la vue des camionnettes. Il est certain qu’en entrée de village, cela surprend. J’en ai parlé au sous-préfet en décembre, j’ai écrit au préfet afin de les informer de la situation. Mais les camionnettes ne sont pas sur la voie publique : en tant que maire je ne peux rien faire, tout comme les pouvoirs publics. Personnellement, je suis très inquiet pour ces femmes qui vivent dans de telles conditions. On est au plus bas de la condition féminine ».

Je suis révoltée par la situation de ces femmes

Nicole Garruchet, maire de Saint-Romain-sous-Versigny

« C’est la première fois que nous voyons cela en campagne. Seul le propriétaire groupement forestier sur lequel le camion est stationné peut intervenir. Il n’est pas de la région et a été surpris d’apprendre cela. Lui seul peut entreprendre des démarches pour occupation illégale de son terrain. J’ajoute être révoltée par la situation de ces femmes qui vivent dans la forêt sans eau ni commodités. »

Justice

En janvier dernier, un homme a été condamné par le tribunal de Mâcon à 500 € d’amendes pour avoir violenté une prostituée de Toulon-sur-Arroux. Les photos de la femme jointes au dossier ont attesté la violence de l’altercation qui a eu lieu le 26 juin 2022. Après la passe, l’homme a refusé de payer. S’en est suivie une bagarre en dehors du véhicule. Un véhicule s’est arrêté pour s’interposer. La prostituée a pu prendre une photo de la plaque d’immatriculation de l’agresseur, ce qui a permis aux enquêteurs de le retrouver. La victime a perçu 1 € de dommages et intérêts.

Des personnes accompagnées par Le Pont et la Croix-Rouge

Mandatée par le Département, l’association Le Pont assure une veille sociale auprès des prostituées. À raison de passages hebdomadaires, les travailleurs sociaux prodiguent une aide de première nécessité en matière d’hygiène, d’apport de nourriture, de soins, d’écoute. Une sortie de leur situation de prostitution peut également être amorcée. La Croix-Rouge intervient en cas d’urgence , par exemple en cas de fortes chaleurs ou grands froids.

Les camions de prostituées de Toulon-sur-Arroux et Saint-Romain-sous-Versigny sont stationnés sur des parcelles privées.  Photo JSL /Camille ROUX

« Je ne vais pas engager de procédure » dit un propriétaire

Il a découvert l’un des camions stationné sur sa parcelle à Toulon-sur-Arroux, courant 2021. « Les gendarmes m’ont appelé pour me le signifier », explique cet habitant de Toulon-sur-Arroux. « Le camion est reparti en décembre pour revenir au printemps dernier », se remémore le propriétaire de la parcelle illégalement occupée.

Je lui ai expliqué que j’allais couper du bois et qu’il faudrait partir »

Lui seul peut décider d’entamer des démarches pour forcer la camionnette à quitter son terrain. En décembre dernier, le propriétaire est allé rencontrer la personne vivant dans ce camion.

« Je lui ai expliqué que j’allais couper du bois et qu’il faudrait partir, mais rien n’y a fait », dit-il. Un recours contentieux serait à ses frais.

Recours contentieux onéreux

« Il faut faire appel à un huissier, un avocat. Le tout à mes frais. L’assurance me couvrirait jusqu’à 1 400 € mais les frais iraient au-delà », craint-il. « Or je ne vais pas dépenser un seul centime pour débloquer une situation dont je suis victime ! Je ne vais pas engager de procédure. Mais il faudrait que les lois aident un peu mieux les propriétaires », dit-il, résigné. « Cela ne me dérange pas visuellement, je trouve même que c’est malheureux pour elle. »

Le second propriétaire à la tête d’un groupement forestier habitant dans la région Grand Est n’a pas pu être joint.

Repère

Prostitution : que dit la loi ?

Les prostitué(e)s sont accompagné(e)s. La loi du 13 avril 2016 a supprimé le délit de racolage et a renforcé les mesures de protection envers les personnes en situation de prostitution. Elle considère le(s) prostitué(e) s comme victimes et non délinquant(e) s. Elle prévoit que des dispositions en matière de logement, de revenu de substitution et qu’un parcours de sortie leur soit proposé. Ce volet social a été renforcé par une instruction du 13 avril 2022.

Les clients sont verbalisés. Le fait de recourir aux services d’une personne qui se prostitue est puni d’une amende de 1 500 € selon la loi du 13 avril 2016. L’amende peut aller jusqu’à 3 750 € en cas de récidive. Si le prostitué (ou la prostituée) est mineur, la peine encourue est de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende et peut être alourdie jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende si le prostitué a moins de 15 ans.

Les proxénètes et tenanciers de lieu de prostitution sont verbalisés. Les sanctions peuvent aller jusqu’à sept ans de prison et 150 000 € d’amende pour les premiers, et jusqu’à 10 ans de prison et 750 000 € d’amende.

Les gendarmes de la compagnie de Charolles ont vérifié les identités des femmes en situation de prostitution à Toulon-sur-Arroux et Saint-Romain-sous-Versigny.  Photo d’illustration BP /Vincent LINDENEHER

« Ces femmes sont en situation régulière »

Originaires, selon nos informations, de Guinée équatoriale, « ces femmes sont en situation régulière » a indiqué la compagnie de gendarmerie de Charolles qui s’est en premier lieu chargée de vérifier leur situation administrative.

L’existence d’un réseau non exclue

Sont-elles dans un réseau ? « Les emplacements restent. Les filles changent. Il n’est pas exclu que quelque chose ressorte là-dessus », souligne la gendarmerie qui a aussi verbalisé certains clients ( lire par ailleurs ).

Échanges avec des élus et des associations

La gendarmerie a également échangé avec les élus sur leur champ d’action. « Or en raison de l’emplacement des camionnettes, cela n’est pas du ressort des élus ni des pouvoirs publics Seuls les propriétaires peuvent intervenir. » Les gendarmes ont aussi sollicité l’association Le Pont pour l’accompagnement social de ces personnes tel que le préconise la loi du 13 avril 2016. La Croix-Rouge intervient également.

Les habitants rencontrés dans le bourg de Toulon-sur-Arroux se questionnent sur les conditions de vie des prostituées.  Photo JSL /Camille ROUX

« Ces femmes sont plus à plaindre qu’autre chose »

À Toulon-sur-Arroux, les habitants rencontrés dans le bourg se sont habitués à la présence des prostituées. « Ça a pu faire parler au début, maintenant ça n’est plus un sujet », dit une commerçante. « On les voit aller faire leur course au supermarché, à pied ; elles font marcher les commerces », ajoute un client du bar. « Les filles viennent de temps en temps chez nous, dit la buraliste. Elles sont aimables et correctes. »

« Sont-elles là par choix ? »

Leur présence soulève néanmoins de nombreuses questions. « Ça fait finalement beaucoup de camionnettes sur un petit secteur ; pourquoi ? » questionne un jeune. « Sont-elles là par choix ou sont-elles obligées ? » interroge une Toulonnaise au bar-restaurant du bourg. « Et dans quelles conditions vivent-elles ? » poursuit celle pour qui « ces femmes sont plus à plaindre qu’autre chose ».