SOURCE : article du JSL par Nathalie MAGNIEN

Cela fait un an qu’un programme expérimental a été lancé par l’association Le Pont. Quatre équipes mobiles, pluridisciplinaires, couvrent le département pour intervenir auprès des populations les plus vulnérables. Nous avons suivi pendant une journée l’équipe du Grand Clunisois.

L’équipe du Pont passe toutes les semaines au domicile de Michelle, qui vit seule à La Guiche. Photo JSL /Nathalie MAGNIEN

Michelle a 67 ans. Elle s’est installée à La Guiche en mai 2019. C’est la maire de la commune qui a alerté l’association Le Pont pour solliciter l’intervention auprès d’elle de l’équipe mobile du Grand Clunisois, dont le rayon d’action s’étend sur 90 communes. Quand Philippe Curt, éducateur spécialisé, l’un des membres de l’équipe, frappe à la porte, il s’aperçoit vite que Michelle n’est pas au mieux de sa forme.

De santé fragile après une hospitalisation pour des problèmes cardiaques et pulmonaires, elle loue cette maison, où elle vit seule, pour « avoir la place d’accueillir ses enfants. Mais ils sont loin ». Depuis quelques jours, les vertiges la contraignent à rester allongée. Et l’empêchent de prendre le volant. « Je ne peux même pas aller à la boîte aux lettres. » Ce que s’empresse de faire Philippe. Si Michelle sait qu’elle peut compter sur ses voisins, « surtout Marie-Françoise », elle ne veut « pas déranger ».

Petite retraite

Sans l’équipe du Pont , qui se relaie pour passer la voir, « cela serait sans doute beaucoup plus compliqué », reconnaît-elle. La conversation s’engage sur l’éventualité de recourir à une auxiliaire de vie. La crainte de Michelle, c’est qu’avec sa petite retraite de 1 400 €, il ne lui reste pas grand-chose. « Vous avez déjà fait un grand pas en arrêtant de fumer », l’encourage Philippe, qui souligne les grosses économies ainsi réalisées. « La clope, c’était ma compagne », se confie Michelle. Elle l’assure, pas question de reprendre. « Mais du coup, je tape dans les bonbons », dit-elle en montrant les Carambar sur la table de la cuisine.

Présence rassurante

La visite de Philippe ce jour-là, outre un point sur l’évaluation menée auprès de l’ADMR*, aura surtout permis à Michelle d’avoir, pour un moment, une présence rassurante auprès d’elle. Elle sait qu’au besoin, quelqu’un pourra l’emmener chez son médecin traitant, à Cormatin, à une trentaine de minutes de route. En reprenant le volant, c’est un peu comme si Philippe Curt s’installait dans son bureau itinérant. Les appels se succèdent. Parmi eux, celui d’un retraité pour confirmer le rendez-vous fixé dans l’après-midi. « Depuis que sa compagne l’a quitté, il est complètement démuni. Incapable de se prendre en charge. J’interviens pour le stimuler afin qu’il fasse de lui-même ce qu’il nous demande de faire. »

Accompagnement sur le long terme

Ce mardi, ce sera, aussi, un rendez-vous manqué avec Thierry, un sans domicile fixe basé sur Saint-Gengoux-le-National. Après l’avoir cherché dans ses endroits habituels, Philippe doit renoncer à le trouver. Non sans avoir demandé au garde champêtre de la commune s’il l’avait vu. En errance depuis des années, le SDF a du mal à échapper à son addiction à la 8.6, une bière à fort degré d’alcool, et ce malgré deux cures de désintoxication. Cela n’empêchera pas Philippe de revenir le lendemain. « C’est un accompagnement au long cours », conclut-il.

*Aide à domicile en milieu rural

Stéphanie Garguet, cheffe de service de l’antenne du Pont à Cluny, coordonne aussi les quatre équipes mobiles en milieu rural sur le département.  Photo JSL /Nathalie MAGNIEN

« On se rend compte de tout le bénéfice à aller vers ces personnes »

Stéphanie Garguet, cheffe de service de l’antenne du Pont à Cluny, assure également la coordination des équipes mobiles en milieu rural depuis leur création en mars 2022. En dressant un bilan de la première année d’activité, elle espère que le financement du programme, basé sur un budget de 800 000 €, sera prolongé au-delà du mois de juin 2023. « On se rend compte de tout le bénéfice à aller vers les personnes qui n’ont pas la démarche de faire appel aux services sociaux. Ou ne le veulent plus. Ou les invisibles, qui passent sous les radars », assure-t-elle.

Les quatre équipes mobiles en milieu rural ont démarré en mars 2022. Elles couvrent les secteurs du Grand Clunisois, du Charolais-Brionnais (dans ce secteur, un camping-car a été mis en service pour aller au-devant des plus précaires ), du Grand Autunois-Morvan, et de Pierre-de-Bresse/Verdun-sur-le-Doubs. « Notre force est basée sur les équipes pluridisciplinaires, dotées d’un éducateur spécialisé, d’une psychologue, d’une infirmière et d’une aide médico-psychologique. Cela permet un accompagnement à la carte, souple, non contractualisé, basé sur l’instauration de liens de confiance. »

69 000 km parcourus

L’association Le Pont, qui lutte contre l’exclusion sociale et œuvre pour la réinsertion, compte aujourd’hui 11 antennes en Saône-et-Loire, pour 370 salariés, dont 60 en contrat d’insertion. En 2022, 10 000 personnes ont été accompagnées. Budget : 20 millions d’euros.

Depuis la mise en place des équipes mobiles il y a un an, 1 871 interventions ont été menées. Les équipes ont parcouru 69 035  kilomètres.

256 personnes ont été prises en charge, en majorité des personnes isolées (68 %). 70 % sont dans la tranche d’âge entre 25 et 60 ans. On compte 46 % de femmes et 54 % d’hommes. Des contacts ont été noués avec 240 partenaires, des élus, d’autres associations ou services sociaux, pour déclencher les interventions.

 

Delphine Thuret.  Photo JSL /Nathalie MAGNIEN

L’infirmière a « redonné du sens » à son métier

Delphine Thuret a rejoint l’équipe mobile du Grand Clunisois le 14 février 2023. Elle a, depuis, « l’impression de redonner du sens » à son métier d’infirmière en échappant « au poids des institutions ». Quant au public concerné, « en les accompagnant pour (re)prendre soin d’eux, cela ouvre la porte au reste ». Parmi ses premières satisfactions, celle d’avoir pu accompagner une femme chez le médecin-conseil pour lui permettre, à l’issue d’un questionnaire d’une quarantaine de minutes, de rehausser son taux d’invalidité. « Si je n’avais pas été là, elle disait que tout allait bien. »

Philippe Curt.  Photo JSL /Nathalie MAGNIEN

L’éducateur spécialisé trouve le bon équilibre

Après avoir travaillé dans le secteur de la protection de l’enfance puis dans celui de la médiation familiale, il a souhaité « aller hors les murs ». Philippe Curt, éducateur spécialisé dans l’équipe mobile du Grand Clunisois, a un principe qu’il résume en une formule : « Aidez-nous à vous aider. » Une ligne de conduite qui lui permet de trouver le bon équilibre. Entre empathie et la volonté « de secouer un peu ». Après un an d’expérience au sein de ce projet inédit, il considère « avoir une meilleure connaissance du profil des personnes en situation de précarité ». Et de leurs vulnérabilités.

Frédéric Jacquot.  Photo JSL /Nathalie MAGNIEN

L’aide médico-psychologique crée un lien de confiance

Après 18 ans dans le secteur médico-social pour des instituts médico-éducatifs (IME) ou des établissements et service d’aide par le travail (Esat), Frédéric Jacquot, aide médico-psychologique dans l’équipe mobile du Grand Clunisois, reconnaît qu’il ne pensait pas « qu’autant de gens en difficulté soient démunis au quotidien. Sur le long terme, on crée un lien de confiance qui permet de lever des freins. La force de l’équipe, c’est notre complémentarité. Dans l’approche, les personnes vers qui on va ne sont pas dans l’idée d’assistanat. Ils ont besoin d’un coup de pouce pour être stimulés. »